Carl Tardif | Une collaboration spéciale
À bien y penser, il n’a jamais officiellement annoncé sa retraite, celle-ci survenant par la force des choses en marge d’une pandémie et d’une fusion entre les ligues Can-Am et Frontière. Le retrait de son chandail permet donc à Karl Gélinas de quitter le monticule une dernière fois avec grâce et élégance, soit à l’image du lanceur qu’il a été pendant 13 saisons avec les Capitales.
S’il pouvait revenir en arrière, le grand droitier «recommencerait sans hésiter» son parcours avec la formation québécoise. Après tout, c’est à Québec que sa relation avec le baseball a complètement changé.
«Si je gagne ma vie avec le baseball, aujourd’hui, c’est grâce aux Capitales», admet celui qui remercie encore son ancien gérant Michel Laplante de lui avoir redonné foi en ce sport et qui lui permet de travailler comme entraîneur à l’Académie de baseball du Canada (ABC) et d’analyste à TVA Sports.
Débarqué en ville à l’âge de 23 ans en raison d’une erreur de jeunesse ayant fait envoler son rêve de jouer dans les ligues majeures, Gélinas est vite devenu l’un des meilleurs lanceurs du baseball indépendant. À sa sortie, en 2019, il détenait notamment les records d’équipe pour le nombre de victoires (85) et de retraits au bâton (945). Des marques qui ne sont pas sur le point de tomber.
Sa carrière n’aurait pas été complète sans son passage chez les immortels de l’équipe, un club sélect qui mise aussi sur le roi du Stade Eddie Lantigua et le bâtisseur Miles Wolff. Son ex-coéquipier Sébastien Boucher a aussi droit au même traitement, cette saison.
Mais que faut-il retenir de la carrière de Karl Gélinas avec les Capitales? Pour le savoir: entrevue en neuf manches, comme un match complet.
1- Le premier match
«J’avais obtenu le deuxième départ la série d’ouverture au stade après celui de Jorge Perez, un costaud dominicain . Je n’avais pas été impliqué dans la décision, mais si mon souvenir est bon, j’avais donné deux points en six manches. J’ai toujours préféré de loin lancer à Québec que sur la route, j’y étais en confiance, à l’aise et je pouvais le faire devant parents et amis», expliquait-il à propos de ce premier départ effectué le 26 mai 2007.
2- Les six championnats
Karl Gélinas a fait partie de six éditions ayant remporté le championnat de la Ligue Can-Am, soit ceux de 2009 à 2013 et celui de 2017.
«Six championnats, c’est comme de remporter le gros lot pour un joueur. Les deux m’ayant le plus marqué sont le premier et le dernier. Les quatre autres, on savait qu’on allait gagner… Le premier, c’est en raison de la présence de tous les Québécois dans l’équipe, d’Éric Gagné et Pierre-Luc Laforest. J’avais eu l’occasion de fermer les livres en finale au lendemain du match complet d’Éric en 2009. Le dernier, c’est parce que je considère que l’équipe de 2017 a été la meilleure de l’histoire des Capitales. Imagine, on avait Balbino Fuenmayor qui frappait septième!»
3- Un receveur personnel
«J’ai eu le privilège de voir Pierre-Luc [Laforest] s’accroupir derrière le marbre deux fois par semaine pour recevoir mes lancers et j’ai eu une belle relation avec Maxx Tissenbaum, mais le meilleur a été Josué Peley. Nous avons toujours été sur la même longueur d’onde, on avait un plan de match et je lançais sans me poser de question. En plus, je n’étais pas le meilleur lorsqu’il y avait du monde sur les sentiers, mais Josué, me sortait souvent du trouble en retirant des coureurs sur les buts. Avec lui, l’adversaire n’avait pas le goût de prendre un but supplémentaire», explique-t-il à propos de son bon ami.
4- Le miracle de 2009
«En 2007, je me suis déchiré un ligament à l’épaule, ce qui m’a empêché de signer un contrat avec les Braves. J’ai traîné cette blessure jusqu’en 2009, où j’ai pensé tout arrêter. En fait, quelques jours avant ce qui devait être mon dernier départ parce que j’avais trop mal à l’épaule, le physiothérapeute Richard Normand m’avait dit : je vais te brasser un peu pour remettre ton bras à la bonne place. J’ai été sur le carreau pendant 48 heures et le soir de mon départ, je rentrais dans l’abri après chaque manche et je disais à Michel et Patrick, je n’ai pas de douleur. Ils me disaient OK, retourne lancer vas-y une autre manche.»
5- La meilleure saison
«J’ai connu une très bonne séquence de 2012 à 2015 [37 victoires et 17 défaites pendant ces quatre saisons], mais je dirais que celle de 2015 a probablement été la meilleure. J’étais dans mes bonnes années, fin vingtaine début trentaine, et je pense ne pas avoir donné de point pendant 40 manches d’affilée. Je me sentais imbattable, on aurait dit qu’il y avait un peu de magie quand je lançais. Cette année-là, même quand ça allait mal, ça allait bien», se souvient-il de cette campagne de 2015 où il a affiché un rendement de 10-3 et une moyenne de points mérités de 2,11.
6- Les retraits au bâton
«Oui, je suis content d’avoir plus de 1000 retraits au bâton en carrière, mais je suis surtout très fier du petit nombre de buts sur balles accordés pendant ma carrière. J’ai obtenu 1151 retraits au bâton, dont 948 avec les Capitales (et Équipe Québec), mais je n’ai donné que 281 passes gratuites. J’ai vite compris le jeu des probabilités. Si un frappeur est retiré sept fois sur 10, ça ne donne rien de lui donner une chance de plus. J’ai aussi eu le privilège d’avoir des défensives impeccables derrière moi.»
7- Le joueur-entraîneur
«Comme Reggie Dunlop [le personnage du film Slap Shot]. Quand T.J. Stanton est parti pour Trois-Rivières, j’ai commencé à jouer les deux rôles. Au début, ce fut plus difficile de partager mon temps, mais quand j’ai trouvé la bonne recette, ça m’a donné la piqûre du coaching. Si je suis instructeur des lanceurs avec l’ABC, aujourd’hui, c’est à cause de cela.»
8- La dernière saison
«J’ai subi des blessures aux jambes en 2018 et 2019. J’avais subi une fracture du péroné en 2018 et un muscle de mon mollet gauche a éclaté en 2019 après avoir été atteint par une balle. J’ai passé 4 à 6 semaines en béquilles, ce qui est dommage, car j’avais connu bon début de saison en plus d’être invité au match des étoiles. À mon retour, je n’avais plus de force dans les jambes, ce qui m’a fait perdre de 4 à 5 milles à l’heure sur mes lancers. J’ai fini la saison avec une fiche de 2-8, qui s’expliquait par ma blessure. J’aurais voulu revenir en 2020, mais la fusion a amené de nouveaux règlements. Je suis devenu entraîneur-chef des Diamants et je devais être adjoint à Patrick pour les matchs des Capitales à Québec, sauf que la saison a été annulée à cause de la pandémie.»
9- Le numéro 34
«Quand Éric Gagné s’est amené avec les Capitales, je me suis empressé de lui donner le numéro 38 que je portais depuis toujours en son honneur. Il était le lanceur que j’idolâtrais dans ma jeunesse, c’était tout à fait normal que je lui cède le 38. J’avais ensuite opté pour le numéro 34 en hommage à Nick Agenhart, mon ancien coéquipier chez les Angels qui était décédé dans un accident de voiture après son premier départ dans les ligues majeures [en avril 2009]. Éric m’a fait le plus cadeau que l’on puisse recevoir pour cela, soit l’amitié. Il m’a accueilli chez lui en Arizona, il a fait des démarches pour que j’obtienne des essais dans le baseball affilié et un contrat au Mexique. Tout cela valait bien plus que n’importe quel cadeau matériel.»